« Toutes nos idées sur la vie sont à reprendre à une époque où rien n'adhère plus à la vie... »
Jamais, quand c'est
la vie elle-même qui s'en va, on n'a autant parlé de civilisation et de
culture. Et il y a un étrange parallélisme entre cet effondrement
généralisé de la vie qui est à la base de la démoralisation actuelle et
le souci d'une culture qui n'a jamais coïncidé avec la vie, et qui est
faite pour régenter la vie. Avant d'en revenir à la culture, je
considère que le monde a faim, et qu'il ne se soucie pas de la culture ;
et que c'est artificiellement que l'on veut ramener vers la culture des
pensées qui ne sont tournées que vers la faim. Le
plus urgent ne me paraît pas tant de défendre une culture dont
l’existence n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir
faim, que d’extraire de ce que l’on appelle la culture, des idées dont
la force vivante est identique à celle de la faim.
[...] Si le signe de
l'époque est la confusion, je vois à la base de cette confusion une
rupture entre les choses, et les paroles, les idées, les signes qui en
sont la représentation. [...] On juge un civilisé à la façon dont il se
comporte, et il pense comme il se comporte ; mais déjà sur le mot de
civilisé il y a confusion ; pour tout le monde un civilisé cultivé est
un homme renseigné sur des systèmes, et qui pense en systèmes, en
formes, en signes, en représentations. [...] Toutes nos idées sur la vie
sont à reprendre à une époque où rien n'adhère plus à la vie. Et cette
pénible scission est cause que les choses se vengent, et la poésie qui
n'est plus en nous et que nous ne parvenons plus à retrouver dans les
choses ressort, tout à coup, par le mauvais côté des choses ; et jamais
on n'aura vu tant de crimes, dont la bizarrerie gratuite ne s'explique
que par notre impuissance à posséder la vie.
Antonin Artaud, Le Théâtre et son double (Gallimard, Paris 1938)
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