samedi, janvier 24, 2015

le Fils-de-pute # 3


« Voilà pourquoi lui le fils-de-pute (même quand il ne le sait pas encore) mène généralement une vie occupée, il est d'autant plus préoccupé qu'il est plus fils-de-pute, il est préoccupé par ses occupations et pas l'absence de préoccupations des autres, il vit dans une inquiétude permanente même quand il affiche le calme; tout ce qui est nouveau le dérange, lui est une cause de tourments et de crainte. mais plus il éprouve de la crainte, plus il se tourmente, et plus grand est son besoin de continuer à faire, de faire toujours plus, ou alors de continuer à ne pas laisser faire, à de moins en moins laisser faire. Et plus il fait, ou moins il laisse faire, plus grande est sa crainte : la crainte de ne pouvoir indéfiniment continuer à faire ce qu'il fait, ou bien à ne pas laisser faire ce qu'il ne laisse pas faire, crainte de l'avenir et du présent, et même presque toujours du passé. Le fils-de-pute n'est jamais satisfait : c'est pourquoi il accumule, pourquoi il tente d'accumuler tout ce qu'il considère comme des avantages. Voilà pourquoi il est envieux, toujours envieux, envieux de tout; voilà pourquoi il dort mal, pourquoi il est constipé, pourquoi il a des maux de tête. Le fils-de-pute sent qu'il devrait être constamment en éveil, très actif, de plus en plus attentif aux principes qui conduisent à réunir les moyens de réaliser ses fins; le fils-de-pute est rongé par la douleur de « perdre » son temps à dormir, déplore l'« effet » de « perdre » son temps à déféquer, et voilà pourquoi il se retient de déféquer; voilà pourquoi enfin la place des fèces du fils-de-pute est à l'intérieur du fils-de-pute et non hors du fils-de-pute. »

Alberto Pimenta, Discours sur le Fils-de-pute, L'Insomniaque, 1996, traduit du portugais par Robert Massart (Ed. Teorema, Lisbonne, 1977)