mardi, mars 17, 2009

En dépit de l'évidence

" En liaison avec son postulat implicite selon lequel la connaissance exacte de la détérioration du milieu vital devait nécessairement être un facteur de révolte, la critique des nuisances a été portée à accorder une place exorbitante à la dissimulation, au mensonge, au secret : selon un vieux schéma, si les masses savaient, si on ne leur cachait pas la vérité, elles se révolteraient. Pourtant l'histoire moderne n'avait pas été avare d'exemples contraires, illustrant plutôt chez les masses une assez constante détermination à ne pas se révolter en dépit de ce qu'elles savaient, et même – depuis les camps d'extermination jusqu'à Tchernobyl – à ne pas savoir en dépit de l'évidence; ou du moins à se comporter en dépit de tout comme si on ne savait pas. […] L'explication de cette absence de réaction, alors que pourtant le vent de Tchernobyl est passé par là, est fort simple : dans les années soixante-dix, la France était encore travaillée par les suites de 68. il faut donc penser que c'est la révolte, le goût de la liberté, qui est un facteur de connaissance, plutôt que le contraire. "

René Riesel et Jaime Semprun
Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable
L'Encyclopédie des nuisances, 2008, p. 24