mardi, juin 26, 2007

Travail (Corvée-Performance-Patience)

" Le travail est écartelé entre le travail-corvée de la survie et le travail-performance de la Surclasse.
C'est négliger que seul le travail-patience engage une amplification inouïe de la liberté, à la fois en extenstion, par le biais d'un développement de la puissance d'agir de chacun, et en intensité, par la découverte d'une plasticité propre à l'individuation humaine.

Nous touchons peut-être ici le point sensible de ce qu'il est convenu d'appeler la « crise contemporaine » ou l'« échec de la modernité » : laisser dégrader le travail-patience — le vrai créateur de richesses — au bénéfice du travail-corvée de la survie et du travail-performance esclave de l'impatience. Nous sommes ici au comble du paradoxe : l'extension inouïe des prolongements techniques du corps, qui devait hisser l'humanité au-dessus de l'abjection des « nécessités naturelles », conduit, à l'échelle de la planète entière, à des situations de détresse totale, bien pires que celle des Indiens d' Amazonie qui, du point de vue des « ressources rares » cher aux économistes, sont pourtant à la limite de la survie...
Promouvoir un travail sans temporalité propre, totalement inféodé à la commande sociale — qu'elle vienne du fouet et de la faim pour le travail-corvée ou d'une psychologie mutilée de cyber-zombie pour la Surclasse —, incapable de s'articuler avec une intensification de l'individuation pour de grandes masses humaines, bref, se contenter de faire proliférer les cas particuliers d'une espèce: serait-ce tout ce qu'il reste à espérer de l'humanité ? "
Gilles Châtelet
Vivre et penser comme des porcs
De l'incitation à l'envie et à l'ennui dans les démocraties-marchés