Pandémie de fils-de-pute
"
(...) le fils-de-pute, et c'est là chez lui un autre trait
distinctif, ne manque jamais de
laisser mourir, voire de faire mourir autrui. Se
pourrait-il que le fils-de-pute, en laissant mourir, voire en causant
la mort d'autrui, entreprendrait de les réconcilier avec la vie ?
Ou se pourrait-il qu’en laissant mourir, voire en causant la mort
d'autrui, le fils-de-pute ne ferait que sauvegarder sa place et ses
avantages, ses privilèges, etc ? Laisser mourir, voire faire
mourir autrui, serait-ce pour le fils-de-pute une autre façon de se
préoccuper de leur sort ? Ou serait-ce seulement la
préoccupation qu'il a de lui-même qui conduit le fils-de-pute à
laisser mourir, voire à faire mourir autrui ? Comment doit-on
comprendre cet autre trait distinctif du fils-de-pute ? À coup
sûr, jamais il ne sera possible de répondre à toutes ces questions
avec l’exactitude désirée, du moins pour certains cas. Comment
expliquer par exemple le cas du fils-de-pute qui examine le malade de
façon sommaire, qui ne le fait pas se déshabiller, qui ne remarque
pas l'infection pourtant là sous ses yeux dans la gorge du patient,
qui n'apporte aucune réponse aux questions, qui ne dit rien, qui
n’ouvre pas la bouche, comment expliquer que ce fils-de-pute ne
dise rien, qu’il prescrive des traitements qui, comme chacun sait,
n’en sont pas pour la simple raison qu'ils ne traitent rien,
comment expliquer que ce fils-de-pute se refuse à examiner le malade
pour le simple fait d'avoir été soigné par un autre médecin et,
ce faisant, le laisse donc mourir, comment expliquer que ce
fils-de-pute soit si enclin à laisser mourir, à laisser mourir
comme un moindre mal ou comme le traitement idéal ? Comment
expliquer que les fils-de-pute
parfois
se laissent mourir même entre eux, qu'ils se donnent la mort, qu'ils
s'entretuent, qu'ils se massacrent les uns les autres ? Est-ce à
mettre au compte de cet impérieux désir, de cette ambition qu'a
tout fils-de-pute d’être toujours plus fils-de-pute, d'être le
meilleur d'entre eux, et de devenir, si possible, le plus grand des
fils-de-pute ? D'aucuns pensent que le fils-de-pute laisse
mourir, voire cause la mort, d'autres pensent que le fils-de-pute
organise ses jurys et élabore ses systèmes judiciaires, ses
systèmes carcéraux, tous ces murs et toutes ces routes qui ne
mènent nulle part et où défilent des mirages, d'autres pensent
qu’il fait tout cela et continue inlassablement de faire tout cela
dans le but de garantir sa sécurité, la sécurité de ses places et
des avantages et des profits et des exemptions et des privilèges
correspondants ; toutefois, une telle vision de choses me
paraît, une fois de plus, assez superficielle, en effet,
quand
bien même il ne laisserait pas mourir ou ne ferait pas mourir, le
fils-de-pute est suffisamment, est toujours suffisamment assuré de
garder ses places et les avantages et les profits et les exemptions
et les privilèges correspondants, qui toujours sont en nombre et en
quantité suffisante pour être répartis entre les autres
fils-de-pute, et ce malgré l’incommensurable, la considérable et
incommensurable quantité de fils-de-pute qui peuplent la terre. À
la vérité,
le
fils-de-pute prend plaisir a laisser mourir, voire à faire mourir,
car cela relève de sa disposition d’esprit, de sa fatale
disposition d’esprit qui le porte à ne pas vivre et à ne pas
laisser vivre. C’est là, et seulement là, que réside la clé
pour la compréhension du fils-de-pute, du fils-de-pute éternel et
de ses éternelles occupations.
(...)
Tout ce que le fils-de-pute fait est pour le fils-de-pute source
d’avantages et de profits extraordinaires. La simple existence du
fils-de-pute (qui a été suffisamment démontrée) est la garantie
d’un système fondé sur l'existence d'un ensemble d’avantages,
d'exemptions, d'immunités, de privilèges, de profits
extraordinaires, etc. Telles sont pour le fils-de-pute la cause et la
finalité de son existence, tel est l'aliment de son existence de
fils-de-pute. De sorte que ce n’est pas à proprement parler dans
le but de persister que le fils-de-pute prend plaisir à laisser
mourir, voire à faire mourir ; à proprement parler, ce n’est
pas même le but de persister en tant que fils-de-pute qui pousse le
fils-de-pute à prendre plaisir à laisser mourir, voire à faire
mourir. Le fils-de-pute prend plaisir à laisser mourir, voire à
faire mourir, c'est pour lui la manière de mettre un terme définitif
à sa préoccupation des autres. Il construit des édifices
dangereux, des toits qui s'écroulent, des planchers qui
s’effondrent, il construit des écoles sans chauffage, des routes
dangereuses, des habitations sans égouts ; dans la plupart des
produits qu’il fait fabriquer et empaqueter, qu'il vante par la
publicité, qu’il met en vente, qu’il distribue, le fils-de-pute
introduit un élément propre à laisser mourir ou à faire mourir ;
de même dans ce qu’il écrit, dans ses journaux, dans ses
magazines, dans ses livres, le fils-de-pute incorpore la calomnie,
l'abrutissement, la mort à petit feu. Le fils-de-pute aime organiser
défilés, luttes, et petites compétitions et bien entendu la plus
grande des compétitions, la guerre, conçue elle aussi, comme on
sait, pour mourir, pour aussi laisser mourir, pour aussi faire
mourir. Non, à vrai dire, le fils-de-pute ne ménage pas ses efforts
pour laisser mourir, voire pour faire mourir autrui. À vrai dire, la
vie du fils-de-pute
n’est
vraiment compréhensible qu’en fonction de la mort, ce
n’est qu’en fonction de la mort qu'il est permis de comprendre
tout ce que le fils-de-pute fait sa vie durant, tout ce qu’il fait
tout au long de sa vie, ce qu’il fait ou ne laisse pas faire, ou ce
qu’il feint de faire ou de laisser faire ; à vrai dire, ce
n’est qu’en fonction de la mort que tout cela est compréhensible.
À vrai dire, le fils-de-pute ne vit pas pour la vie, il vit pour la
mort, il vit pour après la vie et donc pour la mort, il vit pour le
salut de son âme non pas pendant la vie mais pour après la vie, ou
alors il vit pour le salut de sa mémoire, ou pour le salut de ses
biens, de ses biens de fils-de-pute, mais après la vie, toujours
après la vie, ou si l’on préfère, après la mort, toujours après
la mort. C’est toujours pour après la mort (donc pour après la
vie) que vit le fils-de-pute, c'est pourquoi il vit non pas pour
vivre mais pour mourir, et c'est pourquoi il accable la vie de
difficultés, c'est pourquoi il crée des impôts sur la vie, sur
l’utilisation de l’air et de l’eau et de la terre et du feu,
c'est pourquoi il fait de la vie un perpétuel sacrifice, toujours
avec l'objectif de s'assurer quelque chose après la mort : sa
mémoire, sa succession, son histoire, ses idées, ses biens. Le
fils-de-pute échafaude les théories de la vie qu’il échafaude,
il exige de la vie ce qu'il en exige, il érige les édifices qu’il
érige, il fabrique les produits qu’il fabrique, il laisse mourir
celui qu'il laisse mourir, il ouvre les écoles qu’il fait ouvrir,
et il explique la vie comme il l’explique, tout pour le temps
d'après, après sa vie, tout pour après, pour que tout reste ;
et c'est la raison, la seule raison pour laquelle le fils-de-pute
fait ce qu’il fait, mû par la nécessité de tout faire pour
après, pour que tout reste. Jamais le fils-de-pute n’a imaginé
pouvoir faire ce qu’il fait sans que ce ne soit pour après la
mort, sa mort, la mort de tous. Et c’est la raison
oui,
c'est la raison même pour laquelle il n'y a rien qui le préoccupe
tant que de voir ceux qui ne vivent pas pour après mais pour
maintenant, seulement maintenant, toujours pour maintenant. De voir
ceux qui mènent leur vie sans préoccupation aucune, ceux qui vont,
qui viennent, sans jamais y penser, toujours sans préoccupation.
(...)
il inculque à ses subordonnés la nécessité de se préoccuper de
ce qu’ils font et de ce qu’ils disent, de la maison qu'ils
habitent et des endroits qu’ils fréquentent, de ce qu’ils
gagnent et de ce qu’ils dépensent et comment ils le dépensent, et
de ce qu’ils pensent et de ce qu'ils croient et de ce qu'il
approuvent et de ce qu'ils désapprouvent, afin de s'assurer de leur
place de fils-de-pute, et afin de ne plus la perdre, de ne jamais la
perdre, et aussi afin de conserver leur crédit et leur renom et,
entre la vie, entre la vie et la mort, leur droit aux pensions, à la
retraite ou aux assurances. Et c'est pourquoi le fils-de-pute se
préoccupe avant tout de ceux qui manifestement ne vivent pas en
fonction de la mort, mais seulement et exclusivement en fonction de
la vie, de ceux qui ne cotisent pour aucune assurance, ni pour aucune
pension, de ceux qui ne sont pas contribuables, qui ne font partie
d'aucun club ni d'aucun parti, qui n'adhèrent à rien, qui ne se
préoccupent ni du passé ni du futur ni du présent, qui n'ont rien
à représenter, qui s'enorgueillissent de rien, qui ne rougissent de
rien, bref qui existent, qui existent tout simplement, ni plus ni
moins. Ce sont ceux dont le fils-de-pute se préoccupe au plus haut
point : c'est à eux qu'il destine son école et sa télévision
et ses centres en tout genre et, pour les cas les plus récalcitrants,
ses maisons de repos, ses établissements de tutelle, ses prisons,
ses maisons de fous. C'est là toujours qu'il les prépare à une
mort digne, collectivement, car il y a une chose que le fils-de-pute
ne perd jamais de vue, c’est le bien commun et non le bien
individuel. Le bien de tous, et non le bien de chacun. Le bien de
tous en général et non le bien de chacun en particulier.
(...)
Pour le fils-de-pute, telle est la mort : le véritable
commencement et l'occasion de se réconcilier avec la vie. Après la
mort, tout est oublié et tout est rappelé. Oublié tout ce qu'a été
la vie et rappelé tout ce que la vie n'a pas été mais ce qu'elle
aurait pu être. La mort est l’occasion des solennités, elle est
pour le fils-de-pute l’occasion des plus grandes solennités,
l’occasion de solennités plus grandes que n'a été la vie,
l’occasion de réjouissances, l’occasion de réjouissances plus
grandes que n’a été la vie ; c’est
toujours la mort que les fils-de-pute commémorent, c’est toujours
le jour de la mort de ceux dont ils veulent rappeler le souvenir.
Et même le fils-de-pute le plus médiocre et le plus avare se fait
prodigue face à la mort, il commande le cercueil d'acajou par honte
de laisser partir le mort dans un cercueil de sapin (que diront les
autres fils-de-pute, hein ?!), il achète la plus chère des
cérémonies d'obsèques, la plus solennelle des messes, les plus
grands cierges, il se répand en fleurs, il fait publier des
portraits, il fait insérer des faire-part, il envoie des
remerciements, il s’habille de noir pour faire savoir que la mort
pour un temps l'a réconcilié avec la vie. À aucun moment de sa vie
le fils-de-pute ne pense à la façon qu'il a de vivre sa vie, c’est
face à la mort, ce n'est que face à la mort qu’il fait le bilan
de ce qu'a été sa vie ; c’est face à la mort qu’il veut
toujours connaître la « valeur » de sa vie ; c’est
alors qu’il regarde autour de lui d'un air suppliant, dans l'espoir
d'une reconnaissance, d'une exonération, du pardon parfois, jusqu'au
pardon de sa vie même, une vie qui n’a pas toujours été au goût
des autres fils-de-pute. La pierre tombale ne lui suffit pas, cette
pierre tombale commune à tous les fils-de-pute :
CI-GÎT NOTRE BIEN-AIMÉ...
QUI AUX VERS SERT DE REPAS ;
HOMME DE QUELQUE ÉTAT IL A
ÉTÉ,
MAIS
D’HOMME IL A PERDU L'ÉTAT. "
Alberto Pimenta
Discours sur le fils-de-pute (1977)
Traduction (2019) : Pierre Delgado
Libellés : Agnes Buzyn, Chloroquine, Coronavirus, Covid-19, dépistage, Didier Raoult, Edouard Philippe, Emmanuel Macron, IHU Méditerranée Infection, Inserm, Marseille, pandémie, Yves Lévy