jeudi, mars 27, 2014

Le Plus beau fleuron de la discrimination

172. C'est le vent qui accumule les nuages au-dessus de nos têtes, et c'est aussi le vent qui les emporte au loin.
Le mental est, tout à la fois, la cause de notre servitude et la cause de notre libération.

173. Tout d'abord le mental créé en chaque homme un attachement pour le corps et les autres objets des sens ;
Par là, il le réduit à l'impuissance comme un animal dont tous les membres sont ligotés.
Plus tard, ce même mental, en certaines individualités, suscite, à l'égard des objets des sens,
Une aversion aussi profonde qu'à l'égard de substances vénéneuses, et, du coup, il les émancipe à jamais.

Le Plus beau fleuron de la discrimination « VIVEKA-SUDA-MANI» par Çri Camkaracarya d'après la traduction anglaise du Swami Madhavananda par Marcel Sauton, Librairie d'Amérique et d'orient Jean Maisonneuve Successeur, 11 rue Saint-Sulpice, Paris (6è), 3 bis place de la Sorbonne, Paris (5è), 1998.

jeudi, mars 20, 2014

Comment continuer



Malgré les doutes, la certitude, une nouvelle âme, pour ne plus devoir à supporter ce qui n'est plus possible, ce qui, sur la table de jeu, ne va plus.

mercredi, mars 12, 2014

Le Pouldu

Tu n'étais pas comme une femme pour l'été. Je ne me voyais pas être un homme pour l'hiver. Je ne veux plus que rencontrer ce printemps et son lot de mots sur la langue titubants dans leur élan muet. Et remettre sur le métier la vieille amitié du monde.

Comme on passe la pointe de la Dogana

« De toute façon, on traverse une époque comme on passe la pointe de la Dogana, c’est-à-dire plutôt vite. Tout d’abord on ne la regarde pas, tandis qu’elle vient. Et puis on la découvre en arrivant à sa hauteur, et l’on doit convenir qu’elle a été bâtie ainsi, et pas autrement. Mais déjà nous doublons ce cap, et nous le laissons après nous, et nous nous avançons dans des eaux inconnues. »

— Guy Debord, In girum imus nocte et consumimur igni, 1978
[Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu]

Teixeira de Pascoaes, Aphorismes


L'âme doit être élevée par le corps

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La lumière des yeux dévore tout. Être vu c'est presque mourir.

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Le démon, le singe, la vieille créature modelée en chair et en sang, est l'ombre de l'ange que nous étions avant d'être et que nous serons après avoir été. Mais vient l'heure où une troisième personne vient nous compléter et nous définir, l'heure où nous devenons quelqu'un d'autre, l'heure de la seconde naissance.

*
L'homme est un château suspendu dans l'air. Ce qu'il a de non existant, c'est ce qui lui donne l'existence. L'erreur dans laquelle il vit, c'est ce qui lui donne vie. Toute la réalité de son corps s'appuie sur le mensonge de son âme.

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La pierre représente l'extase absolue, la sérénité absolue, le stade mort et angélique des choses.

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La mort est la personne féminine de Dieu.

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Vivre c'est avoir faim ! La vie est faim : faim d'âme et de pain ! Faim noire !

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La banalité est une oeuvre terrible de nos yeux.

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Le singe et la mort ! Voilà les deux personnes véritables de ce faux dieu que nous sommes ; un dieu misérable que la Charité a consacré. mais il possède une vertu que les autres dieux ne possèdent pas : la franchise d'apparaître.

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Le soleil nous frappe les yeux, tout comme nous frappons à une porte qui ne s'ouvre pas.

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Quel drame que celui de la digestion ! Surtout la dernière scène.

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Comment un animal qui fume peut-il croire en l'immortalité ?


Teixeira de Pascoaes, Aforismos, Assirio e Alvim, 1998.
Traduction du portugais : Pierre Delgado

Apprendre à parler à une pierre


[...]
J'aimerais apprendre à vivre — ou me remémorer comment on doit vivre. Mais pour être franche, je vais moins à l'étang de Hollins pour apprendre à vivre que pour l'oublier. Autrement dit, je ne crois pas qu'il soit possible d'apprendre d'un animal sauvage des règles de vie particulières — dois-je boire du sang chaud, tenir ma queue bien droite, marcher en mettant mes pattes de derrière dans les traces de celles de devant ? — mais j'ai peut-être quelque chose à apprendre de l'insouciance, de la pureté d'une vie qui se déroule entièrement dans le monde des sens, sans parti pris ni justifications. La fouine vit dans la nécessité, alors que nous vivons dans le choix ; nous haïssons la nécessité mais nous mourons finalement dans ses griffes de la manière la plus ignoble. J'aimerais vivre comme je le dois, de même que la fouine vit comme elle le doit. Et je soupçonne que ma voie est la sienne : ouverte sans douleur au temps et à la mort, percevant tout, oubliant tout, prenant le parti de ce qui nous échoit avec une volonté féroce et pointue.
J'ai manqué ma chance. J'aurais dû chercher la gorge. J'aurais dû m'en prendre à cette bande blanche sous son menton et tenir bon, tenir bon dans la boue et le buisson d'églantines, tenir bon pour accéder à une vie plus précieuse. Nous pourrions vivre comme les fouines sous le buisson d'églantines, muets et dépourvus d'entendement. Je pourrais très calmement devenir sauvage. Je pourrais passer deux jours dans un terrier, roulée en boule, allongée sur de la fourrure de souris, reniflant des os d'oiseaux, clignant des yeux, léchant et respirant du musc, les cheveux emmêlés dans les racines des herbes. Sous terre : c'est là qu'il faut aller, là que l'esprit est seul. Sous terre : vous êtes dehors, hors de votre esprit et de son sempiternel amour, revenus auprès de vos sens insoucieux. Je me rappelle avoir fait l'expérience du mutisme comme d'un jeûne prolongé et étourdissant, où chaque instant est une fête de messages reçus. Le temps et les événements sont simplement versés, ils passent inaperçus et sont directement absorbés, comme le sang pulsé dans mes entrailles par la veine jugulaire. Deux personnes pourraient-elles vivre de la sorte ? Deux êtres pourraient-ils vivre sous le buisson d'églantines et explorer les abords de l'étang, de manière que l'esprit lisse de chacun d'entre eux soit aussi complètement présent à l'esprit de l'autre, aussi facilement reçu et aussi peu mis en question que la neige qui tombe ?
     Nous le pourrions, vous savez. Nous pouvons vivre comme nous le voulons. Des gens font bien vœu de pauvreté, chasteté et obéissance — et même de silence — en toute liberté. Toute la difficulté est de traquer l'appel intérieur d'une manière habile et souple, de repérer le point le plus tendre et le plus vivant, de se brancher sur cette pulsation. Cela s'appelle céder, et non pas combattre. Une fouine n'« attaque » rien du tout ; une fouine vit comme elle est censée vivre, cédant à chaque instant à la parfaite liberté de la seule nécessité.
Je pense qu'il serait bon, juste, obéissant et pur d'attraper au vol la nécessité qui nous est propre et de ne pas la laisser échapper, de nous laisser ballotter partout où elle nous entraîne. Alors, même la mort, ce vers quoi nous marchons quelle que soit notre façon de vivre, ne pourra nous en séparer. Saisissez-la, laissez-la se saisir de vous et vous emporter très haut, jusqu'à ce que vos yeux soient brûlés et tombent ; laissez votre chair musquée partir en lambeaux et laissez même vos os se désarticuler, s'éparpiller, se disperser dans les champs, les champs et les bois, légèrement, sans pensées, de n'importe quelle hauteur, de la hauteur où volent les aigles.
[...]
Apprendre à parler à une pierre, Annie Dillard - 1992 © Christian Bourgois Éditeur, Collection « Fictives » - Traduit de l'anglais par Béatrice Durand