mercredi, février 18, 2009

Les rouages évidents de la domination

Georges Labica (né en 1930) est mort subitement le 12 février. Philosophe marxiste, il était professeur émérite des universités. Militant des causes anticolonialistes et anti-impérialistes, il a enseigné la philosophie politique à l’université de Paris-X Nanterre et est l’auteur de nombreux ouvrages d’histoire de la théorie marxiste.

Voici ce qu'il disait lors de sa conférence prononcée le 14 décembre 2008 au Teatro Teresa Carrero à Caracas (Venezuela) :
“ Nous nous trouvons en présence de la situation la plus paradoxale qui soit. D'un côté, la crise démasque les rouages de la domination qui l'ont provoquée, qu'il s'agisse des actions criminelles des bourgeoisies au pouvoir ou de la gouvernance mondiale, que représentent ces véritables associations de malfaiteurs que sont le FMI, l'OMC, ou la BM. D'un autre côté, les masses souffrent encore de leur impuissance à s'emparer de l'opportunité qui leur est offerte de "changer le monde". Or, l'occasion, en comparaison des précédentes crises, est tout à fait exceptionnelle, en ce qu'elle rend visible, au sens fort, le responsable, ou plutôt l'ennemi en personne, c'est-à-dire le mode de production capitaliste, parvenu au stade de la mondialisation. Un récent sondage, en France, faisait apparaître que telle était l'opinion de 65 % des personnes interrogées. Ce qui revient à dire, pour parler clair, que, face aux incalculables désastres qui se préparent, la révolution est à l'ordre du jour. Comme le disait José Marti : “ En lo politico, lo real es lo que no se ve. ” Il nous appartient à nous, intellectuels engagés, si minime que soit notre pouvoir, de traverser les miroirs de tromperies et de mensonges, afin de nous faire les échos des luttes des travailleurs qui ne cessent de se multiplier et touchent aussi bien les exclus, en nombre croissant, que les couches moyennes, victimes, à leur tour, du système néo-libéral. le refus, par exemple, de la prison capitaliste que représente la prétendue Union européenne, exprimé par les peuples français, hollandais et irlandais, qui bloquèrent le processus d'intégration, lors du référendum sur la nouvelle Constitution, témoigne de la possibilité de résistances, malgré la volonté de leurs bourgeoisies d'annuler ces scrutins. ”

mercredi, février 11, 2009

Le mensonge avoué de la propagande


La pensée […], c'est-à-dire la raison, discernement du vrai et du faux, décision et jugement, est une chose très rare et très peu répandue dans le monde. Une affaire de l'élite et non de la masse. Quant à celle-ci elle est guidée, ou mieux, mue, par l'instinct, la passion, par les sentiments et les ressentiments. Elle ne sait penser. Ni vouloir. Elle ne sait qu'obéir et que croire.
Elle croit tout ce qu'on lui dit. Pourvu qu'on le dise avec assez d'insistance. Pourvu aussi que l'on flatte ses passions, ses haines, ses frayeurs. Il est donc inutile de chercher à rester en deçà des limites de la vraisemblance : au contraire, plus on ment grossièrement et crûment, mieux sera-t-on cru et suivi. Inutile également de chercher à éviter la contradiction : la masse ne le remarquera jamais; inutile de chercher à coordonner ce que l'on dit aux uns avec ce que l'on dit aux autres : personne ne croira ce que l'on dit aux autres, et tout le monde croira ce que l'on dit à lui; inutile de lui dissimuler la vérité : elle est radicalement incapable de la percevoir; inutile même de lui cacher qu'on la trompe : elle ne comprendra jamais qu'il s'agit d'elle, qu'il s'agit du traitement auquel on la soumet.
C'est cette anthropologie-là qui est à la base de la propagande des membres de la conspiration en plein jour : et c'est le succès même qu'elle remporte qui explique le mépris littéralement surhumain des totalitaires – nous voulons dire des membres de l'élite qui sait – pour la masse*, pour celle de leur adversaires, comme pour celle de leurs adhérents; pour la masse, c'est-à-dire pour tous ceux qui les croient et les suivent; pour tous ceux aussi qui, sans les suivre, les croient.

*Il est clair que pris dans ce sens, le terme "masse", désigne non plus une catégorie sociale, mais une catégorie intellectuelle et que les membres de la "masse" se recrutent bien souvent parmi ceux des "élites sociales".

Alexandre Koyré, 1943.
Réflexions sur le mensonge
Editions Allia, 2004.

mardi, février 10, 2009

Avoir ou être?


« Avoir ou être ? » Le dilemme posé par Erich Fromm n'est pas nouveau. Mais pour l'auteur, du choix que l'humanité fera entre ces deux modes d'existence dépend sa survie même. Car notre monde est de plus en plus dominé par la passion de l'avoir, concentré sur l'acquisivité, la puissance matérielle, l'agressivité, alors que seul la sauverait le mode de l'être, fondé sur l'amour, sur l'accomplissement spirituel, le plaisir de partager des activités significatives et fécondes. Si l'homme ne prend pas conscience de la gravité de ce choix, il courra au devant d'un désastre psychologique et écologique sans précédent... Erich Fromm trace les grandes lignes d'un programme de changements socio-économiques susceptibles de faire naitre en chacun de nous une réflexion constructive.

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Avoir ou Etre, Un choix dont dépend l'avenir de l'homme, Robert Laffont, Paris 1976

Erich Fromm (1900-1980)
Philosociologue et écrivain juif allemand, marxo-freudien de l'Ecole de Francfort, émigré aux Etats-Unis en 1934.
Erich Fromm a obtenu son doctorat en philosophie de l'université de Heidelberg à vingt-deux ans alors qu'il étudiait avec Jaspers.
Il fut l'un des chefs de file du mouvement néo-freudien américain.
Fromm considérait la révolution de l'amour comme l'unique alternative à la destruction de l'humanité.
Il est pour un socialisme humaniste, qui ne serait pas utopique, et fait le plaidoyé de la désobéissance à la fois au capitalisme américain et au soviétisme russe.

Fromm est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrage dont : The art of loving, New York, Harper [1956], L'art d'aimer, La peur de la liberté, La crise de la psychanalyse. Essai sur Freud, Marx et la psychologie sociale, La passion de détruire, Anatomie de la destructivité humaine, De la désobéissance et autres essais. Son œuvre de philosophe est l'une des plus importantes de ce temps.